Depuis vingt ans Geneviève hante les couloirs de l’hôpital de la Salpêtrière, un lieu aseptisé, sombre et sans vie. « Madame » s’occupe des aliénées, car oui, les résidentes, ce sont toutes des femmes. Sa vie est morne, sans saveur. Elle traverse son existence comme une âme en peine. Sa carapace est de marbre, rien ni personne ne peut l’atteindre.
Eugénie est une jeune bourgeoise pleine de vie et agitée par un sentiment de rébellion. Elle se complait à provoquer des sautes d’humeur chez son père. Elle refuse que sa parole soit muselée, que ses opinions soient prisonnières du seul domaine de l’intime. Elle est incomprise de tous les membres de sa famille, et elle-même a mis du temps à savoir qui elle était et quelle était sa destinée.
Louise et Thérèse sont colocataires, si l’on peut nommer ainsi une adolescente et une femme d’âge mur, ancienne prostituée pour celle-ci, adolescente violée pour celle-là. Toutes les deux sont enfermées dans une prison faussement dorée.
Ces personnages n’auraient jamais dû se rencontrer, encore moins se côtoyer ou même s’adresser la parole : ils, ou plutôt elles, venaient d’horizons trop différents. Et pourtant, elles avaient toutes ce même point commun, celui d’appartenir au sexe féminin, ce qui signifie se soumettre sans aucune résistance possible aux dictats des hommes, au regard de la société et au poids de lois totalement arbitraires et désuètes. Les horreurs qu’elles ont pu vivre se sont retournées contre elles, et ce sont elles qui sont aujourd’hui condamnées, privées de leur liberté.
Car l’hôpital de la Salpêtrière n’est rien d’autre qu’un « Un dépotoir pour toutes celles nuisant à l’ordre public. Un asile pour toutes celles dont la sensibilité ne répondait pas aux attentes. Une prison pour toutes celles coupables d’avoir une opinion. ». Un lieu de silence en somme, où vous mènent toute forme de contestation, toute forme de rébellion ou toute forme de différence.
Le bal de la mi-carême, le « bal des folles » est l’événement mondain à ne pas manquer. La belle société, la société huppée, peut venir assister au spectacle de ces aliénées, ces bêtes de foire, que l’on exhibe, comme on irait au cirque. Parées, costumées, maquillées, elles offrent au bourgeois en manque de distraction un véritable théâtre vivant. Et la tension demeure palpable : une aliénée offrira-t-elle une belle crise que l’on s’empressera ensuite d’aller crier sur tous les toits ? Car dans cette société faussement guindée, « Les folles n’effrayaient plus, elles fascinaient ».

Le Bal des folles nous propose les portraits de quatre femmes. Mais deux d’entre elles sont particulièrement mises en lumière. Geneviève, l’infirmière, qui ne s’est jamais remise de la mort prématurée de sa sœur à l’âge de seize ans, et qui continue à lui écrire, comme pour la trouver dans un au-delà qui n’aurait rien de religieux. Au fil du temps, elle s’est dessiné un masque qu’elle porte sur elle en permanence, car il n’est pas question qu’elle s’attache à l’une de ces femmes.
Face à elle il y a Eugénie, une jeune femme pleine de vie, aux idées bien trempées, et qui possède un don qui peut aussi s’apparenter à une malédiction. La narration principale gravite autour de ce personnage que l’on veut faire passer pour aliénée.
D’ailleurs, la question principale de ce roman vise à déterminer une limite purement imaginaire : où commence la folie et où s’arrête la normalité ? Écrire à une morte, est-ce folie ? Remettre en cause les convictions bourgeoises, est-ce pure aliénation ?
Ce roman est aussi profondément engagé en ce qu’il rappelle la tutelle des hommes sur les femmes en ce, pas si lointain, dix-neuvième siècle. Dans ce livre, le sexe masculin n’offre pas une image reluisante : pervers ou violeur ; médecin à la morale douteuse qui n’hésite pas à faire des expériences sur les malades et qui donnent là aussi lieu à de véritables spectacles ; des pères, des frères ou des maris qui ont enfermés une épouse ou une sœur, afin de la cacher aux yeux de la société, car elle ne rentrait pas dans le moule.
Ce roman est un véritable spectacle tragique dans lequel le lecteur devient spectateur.
La plume est fluide, le récit court et dynamique, et le livre se lit donc très rapidement. Les partis pris sont tranchés (aucun homme bon dans l’histoire !!) mais peut-être est-ce là le vœu de l’auteure.
Je vous recommande la lecture de ce livre qui a tant fait parler de lui lors de la rentrée littéraire et pour lequel Victoria Mas a reçu plusieurs prix, parmi lesquels le Prix Renaudot des lycéens en 2019.

Petite réflexion tout de même : je trouve que le résumé qui se trouve en quatrième de couverture (notamment le premier paragraphe) ne reflète AB-SO-LU-MENT PAS le contenu du roman. En effet, le bal des folles, s’il est évoqué tout au long de la narration (qui s’étale sur environ trois semaines) ne l’est effectivement que dans le dernier chapitre (hors épilogue). Charcot est nommé, mais sa présence réelle tient en trois ou quatre scènes très courtes. Enfin, à aucun moment il n’est fait mention du fait que le bal serait une expérimentation (je le comprends plutôt, personnellement, comme une espèce de spectacle de foire à destination de la belle société habitée par une curiosité malsaine et qui voit ces femmes comme des objets de divertissement).
Je suis consciente que le récit étant court, il est difficile de dévoiler l’intrigue principale (je m’en suis moi-même gardée dans ma chronique) mais tout de même !

Comme d’habitude, si vous avez lu Le Bal des folles, n’hésitez pas à me laisser un petit commentaire pour me donner votre avis 😉
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